Ils ont marqué leur temps et connu la gloire. Leur renommée est parvenue jusqu’à nous et leurs actions appartiennent à notre histoire. Ils ont subi des épreuves mais remporté aussi de grands succès. Certains ont été tyranniques, d’autres seulement autoritaires, mais tous incarnaient une souveraineté. Beaucoup étaient rusés, la plupart ont ignoré les règles de la morale individuelle, mais tous agissaient au nom d’une cause supérieure. Ils n’ont pas toujours fait le bonheur des leurs, mais ils leur ont donné un destin. Ils avaient leurs faiblesses mais ils avaient du pouvoir. Ils ont utilisé la force, mais ils ont réalisé des œuvres accomplies.
Ce sont les grands hommes d’État, ceux qui ont écrit l’histoire de notre continent. César, Charlemagne, Richelieu, Louis XIV, Frédéric II, Napoléon, Bismarck, Garibaldi, tous ont exprimé, chacun à leur façon, les vertus du politique. Ils ont incarné la souveraineté de leur peuple et exercé un immense pouvoir. Tous ont manifesté un grand orgueil pour ce qu’ils représentaient et conçu les plus hautes ambitions pour les entreprises qu’ils menaient. Chacun d’entre eux était porteur d’un projet et d’une vision. Conscients des rapports de force, ils savaient les faire évoluer et les exploiter à leur profit. Ils savaient aussi renforcer leur puissance et ne craignaient pas d’affronter leurs ennemis.
Sans doute ont-ils poussé à l’excès toutes les prérogatives du politique qui étaient les leurs. Sans doute celles-ci nous paraissent-elles aujourd’hui exclusivement oppressives et guerrières. Mais, s’il faut les tempérer et les pacifier, il est en revanche dramatique de les abandonner purement et simplement comme le font actuellement les hommes publics dans notre pays. Car, nous l’avons vu, si le politique dépérit, la paralysie gagne, les maux se multiplient, le peuple souffre et la nation s’affaiblit. Si les vertus propres aux hommes d’État sont oubliées ou méconnues, plus rien ne peut être accompli, car le gouvernement se trouve réduit à l’impuissance.
La question du pouvoir est centrale et représente le principal enjeu des années qui viennent. Pour faire de notre nation la première puissance en Europe, pour assurer le renouveau de notre économie et reconstruire la cohésion nationale, il faut en effet disposer de la capacité à agir. Pareille entreprise de redressement nécessite des changements considérables et l’on est en droit de se demander si, en l’état actuel, nous sommes encore capables de procéder aux transformations de fond sans lesquelles notre pays ne pourrait atteindre ces objectifs. D’ailleurs, nombre de personnes, à qui j’expose mes convictions et mes projets, me font part de leurs doutes à cet égard : « Tout cela est très bien, mais comment pouvez-vous croire qu’on puisse réaliser de tels changements dans notre pays ? C’est impossible ! Et, d’ailleurs, personne n’y est jamais parvenu. » Il est vrai que, depuis les années quatre-vingt, aucune réforme d’envergure n’a été accomplie. À droite en particulier, le pouvoir a toujours reculé devant les oppositions soulevées par ses projets.
Toute idée de changement paraît donc aujourd’hui vouée à l’échec. Dans l’Éducation nationale, dans la justice, dans les médias ou les entreprises publiques, rien d’important ne semble pouvoir être réformé. Aucune mesure significative ne peut être adoptée dès lors qu’il s’agit du droit du travail, de la fiscalité, du droit de grève dans les services publics ou de l’école privée. Quant aux questions liées à l’immigration, aux clandestins, aux expulsions ou au syndicalisme, elles sont taboues. Et il en va presque de même pour tout ce qui touche à la sécurité, à la fonction publique, à la sécurité sociale, aux régimes spéciaux de retraite, aux fonds de pension ou aux conditions de l’indemnisation du chômage.
Chaque fois qu’un gouvernement veut toucher à l’un ou à l’autre de ces sujets, il soulève un tollé. Même si la mesure est mineure, même si le ministre concerné a préalablement écouté et discuté, il rencontre de l’obstruction. Tous les contre-pouvoirs entrent alors dans la danse : les syndicats bien sûr, mais aussi les autorités morales, sans parler des médias qui vont jeter de l’huile sur le feu et des juges qui, quand ils le peuvent, vont s’employer à contrer le gouvernement. Des manifestations et des actions médiatiques sont organisées, des grèves déclenchées, de préférence quand elles peuvent paralyser un service public. Et, pour faire bonne mesure, des opérations plus ou moins violentes d’occupation ou de sabotage sont également lancées.
Tous les gouvernements ont été confrontés à de telles situations et surtout ceux de droite, comme on l’a vu en décembre 1995 lorsque Juppé a dû capituler sur la question des régimes spéciaux de retraite et, plus récemment, en avril 2006 quand Chirac, Villepin et Sarkozy ont retiré le CPE qu’ils avaient pourtant fait voter.
Pour éviter ces reculades et tous ces désordres, les dirigeants cherchent à contourner l’obstacle en avançant pas à pas de façon mesurée et prudente, en multipliant consultations et négociations. Mais, en général, rien n’y fait et, plus le temps passe, plus les politiques abaissent la barre de leurs ambitions. L’un de mes amis, membre d’un cabinet ministériel et fidèle soutien de l’UMP, m’expliquait, passablement irrité, comment le projet qu’il pilotait avait été progressivement dépecé lors du travail de préparation au sein de son ministère : « C’est incroyable, on n’a pas encore commencé les négociations avec les partenaires sociaux, mais on a déjà pris en compte toutes leurs exigences ! Et le pire, ajoutait-il, c’est qu’ils en auront encore de nouvelles quand on les rencontrera ! »
Dans de pareilles conditions, les seules réformes qui ne soient pas purement et simplement tuées dans l’œuf par l’auto-censure gouvernementale ou bloquées par le tollé des oppositions publiques ne sont que des mesurettes sans portée que les lobbies finissent par consentir au pouvoir politique pour ne pas paralyser complètement le système.
Pourtant, c’est bien d’un blocage politique qu’il s’agit. Une situation désormais si ancrée dans la réalité sociale qu’on en vient à la théoriser. Notre société est-elle encore réformable ? s’interrogent doctement les observateurs. Et beaucoup de conclure que notre pays se trouve en effet figé et sclérosé et que, pour le débloquer, il faut rechercher de nouveaux moyens, inventer de nouvelles techniques de gouvernement, écouter davantage les Français, rapprocher les décisions des citoyens et développer la démocratie participative.
Il y aurait, certes, beaucoup à gagner à mieux respecter la démocratie et à prendre plus en compte les aspirations de nos compatriotes. Mais, pour ce qui est de l’action gouvernementale, je crois fondamentalement que le problème se situe ailleurs. Ce n’est pas la société qui est bloquée, c’est la classe politique qui est impuissante. Nous l’avons vu, elle a perdu tout pouvoir véritable : comment dès lors s’étonner qu’elle ne soit plus capable de réformer quoi que ce soit ?
Il est donc essentiel que notre pays renoue avec la puissance politique. Le moment est venu de se remémorer les enseignements des hommes d’État qui ont forgé notre nation et de comprendre que les dirigeants de notre pays doivent retrouver la plénitude de leurs prérogatives politiques. Les gouvernants doivent pouvoir entreprendre les réformes nécessaires sans être immédiatement confrontés à des grèves dans les services publics et à des manifestations plus ou moins violentes dans les rues. Le gouvernement et l’État doivent retrouver leur prééminence et être en mesure de contrer ces débordements illégitimes pour faire prévaloir l’intérêt général et la volonté du peuple.
Dans cet esprit, je suis favorable au retour d’un État fort car ceux qui militent pour une puissance publique affaiblie en croyant ainsi faire reculer la bureaucratie se trompent lourdement. Aujourd’hui, nous subissons, il est vrai, un État tentaculaire, présent partout, appuyé sur une fonction publique pléthorique qui freine et handicape les initiatives privées. Mais cet État-là n’a rien de fort, car il se révèle incapable d’engager les réformes dont notre pays a besoin, et, plus grave encore, il ne parvient à protéger les citoyens ni de l’insécurité ni des effets dévastateurs du mondialisme.
Il faut donc renverser l’ordre des choses et alléger l’État pour le renforcer. Qu’il cesse de vouloir tout régenter du berceau à la tombe, mais que, sur toutes les questions liées à ses prérogatives souveraines, il s’affirme avec force et autorité pour protéger les Français et faire prévaloir les intérêts de la France !
Le gouvernement doit pouvoir à nouveau conduire des réformes d’envergure et faire appliquer les lois votées par la majorité. Il ne doit plus tolérer les obstructions aux décisions légales qu’il prend mais aller, si cela est nécessaire, à l’épreuve de force avec ceux qui les organisent.
Évidemment, une pareille détermination n’a de sens que si l’enjeu en vaut la peine. Si les gouvernements se trouvent régulièrement contraints de reculer, c’est parce qu’ils ne présentent que de petites mesures qui ne peuvent suffire pour résoudre les problèmes graves auxquels ils sont censés s’attaquer. Dès lors, les Français, fort peu enclins à subir le moindre désagrément pour un projet qui n’apporterait aucune amélioration significative, ne le soutiennent pas. Quant au gouvernement, conscient que la réforme est trop mineure pour justifier les troubles qui résulteraient d’un affrontement durable avec les opposants, il préfère reculer et céder. Pour imposer un projet, il faut donc qu’il soit de grande ampleur et que chacun sente bien qu’il est porteur de solutions réelles et durables. Dans ce cas, l’épreuve de force devient légitime et les oppositions peuvent être surmontées.
L’affaire du CPE, en avril 2006, illustre parfaitement mon propos. Ce contrat première embauche était une mesure mineure. Même si elle allait dans le bon sens, chacun sait bien qu’elle n’aurait pas amélioré de façon déterminante la situation de l’emploi. Elle a néanmoins suscité une opposition massive et le gouvernement s’est trouvé piégé par sa timidité. Ne pas céder, c’était en effet accepter un grave désordre pour une loi qui n’en valait pas la peine. Si, en revanche, le pouvoir s’était attelé, comme ce serait nécessaire, à une refonte complète du code du travail, il n’aurait pas rencontré une plus forte opposition mais il aurait pu engager l’épreuve de force avec succès et faire ainsi prévaloir la souveraineté du peuple tout en réalisant une grande réforme utile à la nation.
Telle est, selon moi, la méthode à adopter, à condition toutefois d’avancer avec assurance et de contrer ceux qui s’opposent à l’intérêt général. J’ai toujours été choqué de constater que beaucoup de réformes pourtant bénéfiques au plus grand nombre se trouvent bloquées par des syndicats très minoritaires qui jouissent par ailleurs de privilèges exorbitants. Pourquoi, si confrontation il y a, si par exemple les services publics sont paralysés, le gouvernement ne mettrait-il pas en cause tous ces avantages indus : le monopole syndical pour les élections professionnelles, les millions d’euros versés au comité d’entreprise d’EDF et gérés de façon douteuse par la CGT, les innombrables fonctionnaires mis gracieusement à la disposition de certains syndicats, les subventions qui leur sont accordées ? Le pouvoir n’est pas démuni face à ceux qui veulent bloquer son action, pourquoi alors n’utilise-t-il pas les moyens que lui confèrent ses prérogatives ?
Comme me le disait, fataliste, un élu de l’UMP, « on a peur de recevoir des claques, mais, quand ceux qui nous les donnent tendent la joue, on a peur de leur en donner ! À vrai dire, on a peur de tout ». Et en effet, pourquoi tant de timidité dans les mesures prises ? Lorsque le ministre de l’Intérieur expulse un imam, c’est le tollé. Mais si, chaque semaine comme ce serait nécessaire, des islamistes radicaux et des étrangers fauteurs de troubles étaient expulsés par dizaines, les protestataires se lasseraient, les opposants se trouveraient débordés et la mesure se banaliserait.
Dans chaque cas, des solutions existent pour imposer la volonté populaire, faire respecter la loi et défendre l’intérêt général. Il est donc possible de réformer notre pays. À condition cependant que les institutions chargées de la direction politique de la nation recouvrent leur puissance et ne se trouvent plus subordonnées, comme on l’a vu, à d’autres autorités. Il est temps à cet égard de rééquilibrer les pouvoirs et de remettre à leur place les médias comme la justice. L’affaire ne se révèle cependant pas simple car il n’est évidemment pas question de mettre en cause ni la liberté de la presse ni l’indépendance de la magistrature.
Je ne crois pas, pour autant, qu’on puisse faire l’économie d’un débat approfondi sur le fonctionnement des médias. Est-il sain par exemple que le processus de concentration des entreprises de presse ne laisse subsister dans la plupart des régions françaises qu’un seul journal local ? Si de surcroît cet organe est porteur d’une tradition politique — chrétienne-démocrate pour Ouest-France, socialiste pour la Provence —, comment concilier cet engagement avec ce monopole ? N’est-ce pas alors la pluralité des opinions et leur liberté d’expression qui se trouvent mises en cause ?
Est-on certain par ailleurs que la liberté de la presse telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui dans notre pays recouvre bien la notion essentielle à laquelle chacun est attaché ? Car, au-delà de cette formule, de quelle liberté parle-t-on ? Celle de ne pas voir un pouvoir totalitaire censurer les journaux et contrôler les chaînes de radio et de télévision ? Bien sûr ! Mais, lorsque l’on vit, comme c’est le cas en France, sous un gouvernement qui n’exerce aucun contrôle, de quoi est-il question ?
S’agit-il de la liberté du propriétaire de l’organe de presse ou de la chaîne télévisée ? Dans ce cas, est-il légitime que l’argent suffise pour faire prévaloir ses opinions auprès de millions de gens ? Et la liberté de la presse est-elle alors un simple privilège réservé à ceux qui peuvent se l’offrir ? S’agit-il de la liberté des journalistes ou de celle de leur directeur de faire passer dans l’opinion les idées qui sont les leurs ? Mais les uns comme l’autre ne sont au fond que des salariés et d’où tireraient-ils la légitimité qui donne un tel pouvoir ? À moins que la déontologie qu’ils sont censés observer ne confère à leur profession un statut particulier, comme une sorte de magistère comparable à celui des juges ou des médecins. Mais alors, où est le conseil de l’ordre et comment sont prises les garanties morales et déontologiques pour sélectionner les journalistes ?
Je n’ai pas la prétention d’apporter des réponses à ces difficiles questions, mais il me semble que le problème serait déjà en grande partie résolu si un plus grand pluralisme des organes médiatiques était observé. Or, les techniques de transmission, câble, satellite ou Internet, rendent aujourd’hui possible une diversité de plus en plus grande. Encore faut-il que ce pluralisme commercial corresponde à un pluralisme politique. Au-delà de toute considération théorique sur les droits et devoirs des médias, il est désormais un impératif qui me paraît s’imposer, aussi bien pour l’épanouissement de la liberté que pour celle de l’intelligence : il faut mettre fin à la dictature de la pensée unique.
S’agissant de la justice, l’idée est de la recentrer sur ses missions essentielles, c’est-à-dire la répression des crimes et des délits et l’arbitrage entre les plaideurs. Les magistrats ne sont pas en charge de la politique pénale et une séparation plus nette doit être établie entre ceux qui jugent et ceux qui poursuivent. Les premiers doivent jouir d’une indépendance totale, les seconds sont à placer de nouveau sous l’autorité de la chancellerie. Tous cependant doivent devenir responsables de leurs actes : s’ils commettent une erreur causant de graves préjudices à des innocents, ils doivent être sanctionnés.
Pour le reste, il appartient à l’autorité politique de reconquérir les prérogatives qu’elle a abandonnées au pouvoir judiciaire en faisant voter des lois qui empêchent les magistrats de paralyser l’action gouvernementale. Aujourd’hui, par exemple, l’expulsion des immigrés clandestins, dont tout le monde reconnaît la nécessité, est fortement freinée par la justice qui décide elle-même de chaque cas, avec une lenteur et un formalisme paralysants, comme si les magistrats prenaient plus de plaisir à sanctionner la faute de procédure d’un policier que la présence illégale d’un immigré.
Il convient donc de mettre un terme à ces errements et de revenir à la pratique qui prévalait il y a vingt ans, en confiant aux préfets la responsabilité de décider des expulsions à partir d’un simple constat, facile à établir, de l’illégalité du séjour. Comme toute mesure administrative, les arrêtés d’expulsion pourront certes faire l’objet d’un recours, mais, pour éviter les abus, ils ne seront pas suspensifs et devront être diligentés depuis le pays d’origine. En modifiant ainsi la procédure, le pouvoir politique pourra de nouveau agir et, en multipliant les dispositions de ce type, retrouver la plénitude de ses prérogatives.
S’il n’est évidemment pas question d’affaiblir la justice ou les médias, qui doivent occuper toute leur place, il est cependant essentiel que le pouvoir politique recouvre son indépendance par rapport aux juges et aux journalistes et se trouve placé non plus sous leur contrôle mais sous la seule tutelle du peuple. Il s’agit au fond d’assurer, ni plus ni moins, le renouveau de la démocratie en réactualisant le principe primordial de la séparation des pouvoirs cher à Montesquieu.
Il faut aussi que nos gouvernants renouent avec les principes fondamentaux du politique et qu’ils soient à nouveau capables de distinguer leurs adversaires de leurs soutiens et de les traiter différemment les uns des autres.
Aujourd’hui, la classe politique paraît ignorer totalement cette distinction pourtant capitale entre les amis et les ennemis. La France n’aurait, selon elle, aucun adversaire. Ainsi des terroristes peuvent-ils enlever une journaliste française en Irak, l’affaire semble n’avoir à ses yeux aucune dimension politique. L’enlèvement est présenté dans les médias comme une sorte de catastrophe naturelle, un peu comme si notre compatriote était restée prisonnière sous les décombres d’un immeuble frappé par un tremblement de terre. Ses ravisseurs demeurent anonymes, personne ne les désigne ni ne les condamne, quant aux représailles, il n’en est nullement question. Tout se passe comme si les terroristes n’étaient pas islamistes, comme s’ils n’étaient pas nos ennemis.
S’agissant des mesures à prendre pour se prémunir contre d’éventuels attentats, je suis frappé de constater, là encore, qu’elles sont présentées comme si nous nous trouvions face à un fléau abstrait sans dimension politique ni responsabilité humaine. Il faut lutter contre le terrorisme comme il faut combattre les incendies de forêt. Mais rien n’est engagé pour mener la guerre contre les terroristes islamiques, pour les abattre, détruire leurs bases, les couper de leurs appuis sur notre sol et les discréditer dans l’opinion.
Pareille timidité s’explique peut-être par la présence en France d’une énorme communauté islamique. Mais, si tel est le cas, cela signifie que notre nation, sur ce plan comme sur tant d’autres, n’est plus réellement souveraine. La souveraineté ne se réduit pas en effet à une notion juridique : un pays peut disposer de tous les attributs formels de l’indépendance politique et se trouver en situation de subordination face à des forces qui le dépassent en puissance. Il en était par exemple ainsi des Républiques populaires d’Europe de l’Est lorsque l’ambassadeur soviétique venait dicter sa conduite au gouvernement local.
Les notions de souveraineté et de pouvoir sont donc directement liées. La souveraineté, qui est aux peuples ce que la liberté est aux personnes, reste en effet purement virtuelle sans le pouvoir d’agir, c’est-à-dire sans la puissance. C’est pourquoi les seules communautés à posséder une réelle souveraineté sont celles qui peuvent mobiliser un minimum de force. En ce sens, la France, la France concrète que nous connaissons aujourd’hui, constituée en nation et organisée en république, demeure, malgré toutes ses faiblesses, un point d’appui essentiel pour agir et peser dans le monde. Vouloir aujourd’hui la faire disparaître au profit par exemple de communautés régionales serait suicidaire, car, à ce niveau, aucun levier, aucun moyen d’envergure n’existe pour donner une réalité à quelque souveraineté que ce soit. Et, pas plus dans l’avenir qu’aujourd’hui, on ne voit quelle instance pourrait valablement se substituer aux moyens, si imparfaits soient-ils, dont dispose encore notre nation.
Vouloir dissoudre entièrement la France dans un vaste conglomérat européiste, comme Bruxelles en a le projet, apparaît tout aussi dangereux. Si l’Europe est une nécessité, l’organisation bruxelloise ne cristallise aucune puissance politique et ne peut donc porter aucune souveraineté européenne. De ce fait, elle ampute la souveraineté des nations pour n’en rien faire. L’Union européenne fonctionne à cet égard comme un trou noir : elle absorbe la souveraineté pour la faire disparaître. Aussi faut-il, comme nous le verrons, modifier complètement ses principes d’organisation afin que les pays qui la composent retrouvent une large capacité d’action, à la fois juridique et concrète.
Il me paraît donc essentiel, pour la nation comme pour le peuple, de renouer avec la souveraineté, c’est-à-dire avec le pouvoir et la puissance. La France doit retrouver non seulement les moyens de sa puissance extérieure, mais aussi ceux de sa puissance intérieure. Il faut en quelque sorte rendre du pouvoir au pouvoir.
Une telle entreprise est parfaitement réalisable à condition cependant que le personnel politique soit renouvelé et que les Français remplacent ceux qui jouent la comédie par ceux qui sont prêts à agir. Les membres de l’exécutif ne sont pas censés consacrer leur temps à faire la cour aux journalistes, à imaginer des actions symboliques pour le journal de 20 heures ou à préparer leur réélection, ils sont chargés de résoudre les problèmes des Français en prenant des initiatives fortes et audacieuses. Comme le souligne Chantal Delsol, « dans la France contemporaine, où l’intelligence est surabondante, c’est le courage qui manque le plus à nos dirigeants (1)». Notre nation a besoin aujourd’hui d’hommes politiques désireux d’accomplir leur devoir. Il lui faut des gouvernants courageux, capables, quand c’est nécessaire, d’affronter les épreuves de force, d’imposer l’intérêt général face aux intérêts particuliers et de privilégier le long terme sur le court terme en inscrivant leur action dans la durée. La France mérite maintenant des dirigeants véritables qui acceptent d’être impopulaires dans le présent pour être reconnus dans le futur.
Il n’y a donc aucune fatalité : pour peu qu’ils s’en donnent les moyens, les Français peuvent renouer avec le politique au sens noble du terme, et la France comme son État retrouver un minimum de puissance pour agir.
Pareil renforcement de la souveraineté du peuple ne pourrait que produire des effets bénéfiques. Car, je voudrais y insister, contrairement à ce que certains laissent entendre, la puissance est une notion positive qui n’a rien à voir avec cette volonté d’écraser, d’asservir ou de soumettre à laquelle on l’associe trop facilement. La puissance c’est la force et la force n’est en soi ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de l’usage qu’on en fait. Il n’y aurait rien de pire que de s’en priver au motif qu’on pourrait mal l’utiliser. Car, si l’on est impuissant, on ne peut rien entreprendre. On ne peut plus créer ni agir, on ne peut plus protéger ni aider, on ne peut plus assumer aucune de ses responsabilités. La force est donc indispensable à notre nation pour assurer son renouveau économique et retrouver sa cohésion nationale.
Si la France recouvre un minimum de puissance, si les politiques disposent à nouveau du pouvoir, tout devient possible. Avec la puissance, notre pays possèdera à nouveau le ressort psychologique et l’instrument politique pour redevenir le premier en Europe, mais aussi pour donner à l’Europe la première place dans le monde.
Notre avenir est dans la puissance.
1. Chantal Delsol, Le Figaro, 5 mai 2006.